top of page

3 conseils pour améliorer votre style à l'écrit.



Baldassare Castiglione était un maître de l’élégance.


Il a écrit “Le Livre du courtisan”, le manuel de savoir-vivre le plus vendu durant 3 siècles, du 16e au 18e. Il y a décrit un concept qui sert encore aujourd’hui à habiller les hommes et femmes les plus cool du monde: Brad Pitt, Sophie Marceau, George Clooney.


C’est un concept inconnu à Cardi B, Afida Turner et toute la clique de la téléréalité, par exemple.

La sprezzatura


Il n’existe aucun mot ni aucune expression en français qui puisse traduire ce concept. Pour l’écrivain et courtisan italien, il faut: “faire preuve en toute chose d'une certaine “sprezzatura”, qui cache l'art et qui montre que ce que l'on a fait et dit est venu sans peine et presque sans y penser".


C’est de là que naît la grâce, et donc le style, tant « chacun sait la difficulté des choses rares et bien faites, si bien que la facilité en elles engendre une grande admiration »

Et c’est pareil en écriture


Pour le linguiste Steven Pinker, travailler son style à l'écrit est capital pour au moins 3 raisons:


  • Un lecteur va préférer lire un texte bien écrit que mal écrit. Si votre business dépend de votre création de contenu, comme le mien, vous vous tirez une centaine de balles dans le pied si vous rédigez mal une bonne idée.

  • Un bon style est un gage de confiance. Quand votre texte est précis, clair et parlant (on verra après ce que ça implique), c’est mieux que s’il est confus et rempli de fautes. Si en 33 ans je n’ai pas compris la différence entre “c’est bien” et “sait bien”, ça donne l’impression que ma capacité d’apprentissage est proche de zéro.

  • Un bon style ajoute à la beauté du monde et comme ce qui se passe autour de nous ce n’est pas tous les jours très, très beau, une écriture agréable est une bouffée d'air alpin après un séjour à Paris. Et ce qui est beau s’apprécie mieux, d’un point de vue marketing.

C’est quoi une écriture qui a du style ?


Un texte qui a du style semble avoir été écrit avec une facilité confondante. Ce n’est pas le cas ; c’est juste l’impression que donne sa lecture.


Si vous présentez une idée intéressante avec sprezzatura, votre plume devient magnétique, poignante et gracieuse.


Bon, mais comment faire ? Il n’existe pas de méthodes - et heureusement, ChatGPT crée déjà assez de robots - mais il y a bien des principes à éviter et d’autres à suivre.


Les écueils à éviter

Dans leur ouvrage Clear and simple as the truth, Francis-Noël Thomas et Mark Turner font un inventaire des types d’écriture existants: bureaucratique, académique, etc.


Je creuserai ce thème une autre fois. Ce qui est important de savoir, c’est que parmi ces styles, un seul a pour but d’être lu.


Et oui, c’est c*n mais ça c*mpte.

A l’école, quand on nous demandait de rédiger une dissertation, l’objectif de notre texte n’était pas d’être lu mais d’être noté. On savait que quoiqu’on écrive on allait être lu, puisque le prof était payé pour le faire.

Quand les impôts vous adressent un courrier, vous êtes obligé de le lire. Pareil pour les avocats. Derrière, il y a risque de sanction. Pas besoin de soigner le style.

Pire: il y a relation hiérarchique. Et l’écriture le montre bien: le jargon est là pour la renforcer. Plus il est impossible à décrypter, plus on va mettre de temps pour y arriver et plus le but est atteint.

Les académiciens n’écrivent pas pour être lus mais pour montrer qu’ils ont réfléchi. Les textes sentent la transpiration des neurones, invoquent la matière grise en plein effort. Et qu’est-ce que le fruit de la réflexion ? L’abstraction. Soit la chose qui parle le moins à l’esprit humain, et donc le contraire d’une bonne écriture.


Quand Bourdieu parlait d’une “structure structurante qui structure une structure structurée” et que c’est la phrase la plus accessible de son oeuvre, on dirait juste qu’il voulait flex devant ses pairs, pas qu’il avait découvert un truc de fou.

Les politiciens sont les rois de la forme passive parce qu’elle permet de se déresponsabiliser. “Des erreurs ont été commises.” Oui mais par qui ? Ah ça énerve, ça énerve.


Au travail, on subit les formes passives-agressives en série, comme les mails qui commencent par “merci de.”

Un exemple d’une écriture qui a du style


Les plus belles plumes ne se trouvent pas sur le net mais écrivent encore des livres. Voici comment commence la biographie de Miles Davis par Franck Médioni, que je suis en train de dévorer.


Miles. C’est par son seul prénom que les amateurs de jazz désignent Miles Davis. C’est dire la familiarité, presque l’intimité qu’ils entretiennent avec lui, et la place importante que le trompettiste américain occupe parmi les mélomanes et autres amateurs de jazz. Miles est non seulement l’une des figures majeures de l’histoire du jazz mais aussi l’un des musiciens-phares du XXe siècle. Il est d'ailleurs l’un des seuls jazzmen à avoir atteint le statut de “star”.

Miles exerce une fascination constante. Son ombre tutélaire plane sur les mondes du jazz et au-delà depuis des décennies. Regardez-le, regardez la photo d’Irving Penn qui orne la couverture de l’album Tutu, ce visage noir en plan serré.


C’est la beauté noire d’un guerrier Masai. Juliette Gréco, son amoureuse rencontrée à Paris en 1949, parlera de son profil de dieu égyptien. Prestance, élégance, de belles mains longues et délicates.


Miles et très beau, très séduisant, sexy. Miles, c’est le plus beau. Il a la plus belle trompette, il a le plus beau son de trompettes (...). Miles a le plus beau physique, les plus belles fringues, les plus belles voitures de sport, et il sort avec les plus belles femmes.


Après cet inventaire à la Prévert, pour parachever le portrait de cet homme complexe, on mentionne habituellement ses sautes d’humeur, ses caprices de star, ses maladies et sa voix cassée, cette voix rauque, croassement plutôt que caresse ou chant, qui envoie des “motherfucker” à tout bout de champ.


3 principes pour développer votre style à l’écrit


On a vu ce qu’il fallait éviter pour que votre texte cache l’art et montre que ce que vous avez fait et dit est venu sans peine, comme le disait Baldassare.


Voici maintenant 3 principes vers lesquels vous devriez tendre si vous souhaitez améliorer votre style à l’écrit.

  1. Ecrivez comme si vous parliez dans un contexte informel

Celui-ci est souvent mal interprété. L’idée n’est pas d’ajouter “frérot” en fin de phrase et “wesh” au début. Juste d’écrire en imaginant s’adresser à un lecteur dans un contexte informel, comme autour d’un café.


Pourquoi ? Parce qu’écrire n’est pas naturel. Mais parler, oui.


On cherche à mimer la spontanéité de la parole.


Quand vous arrivez en retard dans une soirée et que vous appelez un ami pour le prévenir, vous n’allez pas dire “comme discuté dans l’après-midi, merci de me commander un verre de rouge, qu’on puisse trinquer asap.”

2. Donnez tout dans l’accroche, puis peignez une scène qui explique votre point de vue.

Frank Médioni ne s’embarrasse pas d’une phrase P.


Son accroche donne le ton, elle se résume en un prénom: Miles. Miles, c’est Zeus. Mais l’auteur ne se contente pas de dire que c’est un dieu, il le montre. C’est le plus beau, il a tout.


Autre mais: ce que Franck a vu et voudrait vous montrer, c’est avant tout l’homme Miles. D’où l’énumération de ses défauts. On imagine mais pas complètement, l’image dans notre tête est floue et on voudrait la compléter ; Il y a paradoxe, on brûle de lire la suite.


L’écriture moderne part d’un point de vue et fait ce qu’il faut pour y amener le lecteur.


3. Ecrivez des phrases simples et enrichissez-les de quelques figures de style.

Le style permet de capter l’attention mais aussi de maintenir cette dernière. Comment ? En ponctuant le minimalisme de la prose de quelques surprises qui agissent comme des shots de dopamine pour le cerveau.


Ici, c’est la répétition du mot “beau”, l’exagération, les métaphores comme “ombre tutélaire” ou les comparaisons avec un “profil égyptien.”


Surprenez votre lectorat. Rappelez-vous seulement que la surprise naît de l'inattendu, donc ça doit rester extraordinaire, l'ordinaire étant la description la plus visuelle possible du point de vue (Franck y va un peu fort dans l'exemple cité, mais c'est le début du livre, ensuite il lève le pied.)


En bref


Quand vous combinez les écueils à éviter et les 3 points du dessus vous avez un texte qui est agréable à lire, à tel point qu’il donne l’impression d’avoir été écrit sans effort.

Il montre, il ne dit pas.


Il caresse l’imaginaire.


Pour reprendre Baldassare, il cache l’art et montre que ce qui a été écrit est venu sans peine et presque sans y penser.


Il fait partie des choses rares et bien faites. La lecture est facile. Et “chacun sait la difficulté des choses rares et bien faites, si bien que la facilité en elles engendre une grande admiration.”

 

Sources:

  • “La barbe ne fait pas le philosophe”… la sprezzatura, si !, Le Monde, Sophie Chassat.

  • La “sprezzatura”: enjeux et concepts, Roderick-Pascal Waters, L’école des hautes études en sciences sociales.

  • Steven Pinker, The sense of style.

  • Clear and simple as the truth, Francis-Noël Thomas et Mark Turner.

  • Miles Davis, Franck Médioni.

Comments


bottom of page